Kara
[contacté par Wouter Porteman]
Albums de Kara (1972, France) :
Gabrielle (Pointe Noire + reprise, collection Soleil Levant, Soleil) Le Miroir des Alices (2 albums, collection Soleil Levant, Soleil).

Site web : www.karafactory.com
Qu'est-ce qui rend Franquin si extraordinaire ?
Une grande partie du talent de cet auteur à mon sens réside dans la modernité de son trait, de son style et de ses messages. Ces derniers sont d'une certaine manière, hélas toujours d'actualité pour certains. Franquin fait partie d'une génération d'auteurs qui nous ont mis en garde sur certaines dérives de nos sociétés via son humour corrosif. Hors, aujourd'hui encore, l'humour n'est paradoxalement pas assez pris au sérieux ! Je ne suis pas un grand connaisseur de son œuvre, tout juste un lecteur du dimanche qui fut bercé dans son enfance par les gaffes à gogo d'un grand benêt qui avait l'intelligence de voir le monde comme il devrait parfois être : en paix. Cette fausse naïveté qui fait sourire les cyniques et les blasés cache pourtant nombre de messages qui de par leurs simplicités et leurs accessibilités, essayent d'aborder des problèmes de la vie que nous avons nous-même complexifiés à outrance.
Je me souviens de ce court gag de Gaston Lagaffe où celui-ci était interpellé par son « chef » Prunelle ! Celui-ci reprochait à Gaston de ne pas vouloir déranger son chat dormant sur ses genoux. Et de lui signaler enfin que si tout le monde faisait de même, le travail n'avancerait pas ! La réponse de Gaston est alors sans appel et donne à peu près ceci : « Si tous les généraux du monde quels que soient la couleur de leur drapeau avaient un chat sur les genoux, eh bin, on se sentirait plus tranquille ! »

Une réponse aussi simple est un bâton tendu aux cyniques qui diront qu'à force de marteler des évidences, celles-ci perdent de leurs sens, et de leur force. Tant pis pour eux.
Avec les Idées Noires, Franquin décide de passer à la vitesse supérieure et de rentrer dans le lard en nous montrant la face sombre de son humour. Une sorte de dernier coup de pied au cul d'une société endormie. Franquin l'engagé ? Pourquoi pas ? Après tout, derrière chaque clown se cache souvent un humaniste qui capte l'attention par le biais du rire, ce même rire propre à chacun et qui peut rassembler les foules.
Derrière les extraordinaires aventures de Spirou, Franquin lance aussi de nombreux messages, de mise en garde qui ne sont pas platement moralisatrices. Je ne sais pas si la jeunesse actuelle continue de lire Franquin, mais je pense que l’étonnante modernité de son œuvre, sa générosité à nous interpeller de manière ludique et intelligente est toujours d'actualité. Pour notre plus grand plaisir...
Comment avez-vous fait connaissance avec Franquin ou ses albums ? Quels sont votre premiers souvenirs de lui ? Avez-vous eu des contacts personnels ?
Hélas, jeune trentenaire que je suis, je n'ai jamais rencontré Franquin. Je sais qu'il faisait partie d'une génération adulée aussi bien par les lecteurs... que par certains de ses collègues ! Il incarnait une sorte de réussite plébiscité par les lecteurs, les professionnels et les critiques, car il alliait univers personnel et succès commercial. L'Eldorado artistique pour certain, une utopie pour les autres.
Mes premiers contacts avec Franquin furent bien évidement d'un classicisme éhonté à travers mes premiers Spirou et autre Gaston Lagaffe. Ce mélange d'humour, de trouvailles visuelles, et surtout cette sempiternelle question qui me taraudait sans cesse : Comment fait-il pour ne pas se faire virer ce Gaston ?
Quel(le) est votre album, aventure, gag ou personnage préférée de Franquin et pourquoi ?
Mon gag préféré est cité plus haut.
Franquin a-t-il influencé quelque part votre style, votre manière de travailler ?
Si j'ai été influencé, je ne saurais dire dans quelle mesure car cela remonte à mon enfance. Je m'excuse auprès des puristes, mais j’ai adoré la reprise de Tome et Janry pour les aventures de Spirou. Je les préférais nettement au style de Franquin qui me paraissait vieillissant.
Avec l'âge et un regard d'adulte, je comprends mieux certains gags, certains doubles sens et en tant que simple dessinateur, je redécouvre le talent pur et graphique de cet artiste qui en quelques coups de plume ou pinceau savait si bien donner vie à un personnage.
Quel est selon vous l'impact de Franquin au monde de BD présent ?
Sa contribution est énorme dans de nombreux domaines, qu'ils soient narratifs ou graphiques. Ses cadrages, ses choix de mise en scène en font un auteur finalement intemporel qui sera encore pour longtemps un modèle dans le monde de la bande dessinée pour les générations à venir. Car l'avenir se construit souvent sur et de par le passé...