Alec
Séverin

[contacté par Wouter Porteman]
Albums de Alec Séverin (1963, Belgique) :
Les Beaux Fonds des Bas Tiroirs (Several Pictures)Bill Cosmos (Cosmos Comics)Gratin (Undergroud Belge (tome 1)/Michel Deligne (tome 2))Harry Sauve la Planète (3 albums + 1 hors série, Claude Lefrancq Editeur (tome 1) + Several Pictures (tome 2-3, hors série)Huit Petites Images pour les Grands Enfants Sages (Cosmos Comics)Lisette (collection Conquistador, Delcourt)La Machine à Exploré le Temps (collection BD Ecrivain, Claude Lefrancq Editeur)Un Page sans Emploi (Several Pictures)A Story of War (Michel Deligne) Under the Ink 1: Al Séverin (Enigma Publishing).

Site web : oeuvreseverin.free.fr
Qu'est-ce qui rend Franquin si extraordinaire ?
André Franquin était un homme qui, malgré sa célébrité, a toujours su très cordialement accepter le contact avec ses collègues ainsi qu'avec les apprentis dessinateurs désireux de le rencontrer. Mais, bien sûr, c'est surtout sa science du métier, dès le début de sa carrière, qui était absolument remarquable.
Influencé par les illustrateurs américains tels Billy Debeck et les animateurs des personnages de Walt Disney, il parviendra à en extraire le suc du mouvement et de la juste (quoique caricaturale) anatomie.
On sent tout au long de son œuvre une envie d'esthétisme liée à un réel rendu de réalisme (à toute époque, il travailla d’après nature, soit des modèles réels, avec Jijé, ou plus tard en prenant modèle sur des images télévisuelles).
En ajoutant à cela que, quel que soit l’instrument qu'il utilisa, il sembla pouvoir le dompter et en tirer le maximum (pinceau, plume, stylomine, etc ...) ! Son trait paraissait toujours « celui qu'il fallait choisir » selon l'objet à illustrer.
Si beaucoup de dessinateurs ont été inspirés et s’inspirent toujours du trait, des trouvailles et de la technique d'André Franquin, lui, ne s’est jamais caché de ses propres inspirations. Cela est non seulement sympathique mais également honnête, et nous devons tous en faire autant.
Comment avez-vous fait connaissance avec Franquin ou ses albums ? Quels sont votre premiers souvenirs de lui ? Avez-vous eu des contacts personnels ?
Tout d'abord, je me rappelle avec délice la lecture (si c'en était une car à l'époque je ne savais pas encore lire) de l'album La Mauvaise Tête. Et ce à chaque fois que je me rendais chez ma grand-mère maternelle. C'était le seul livre de Franquin qu'elle possédait et il me fascinait absolument. Je ne comprenais pas tout (comme la séquence où Spirou est amnésique), mais je trouvais cet album magnifiquement dessiné et l'histoire à la fois cauchemardesque et passionnante ... Il sentait également le sud de la France et les vacances !
Ensuite j'ai dévoré certaines aventures de Spirou et Fantasio en lisant de vieux recueils Spirou, ce qui fait que je ne connaissais, bien souvent, ni le début, ni la fin des histoires ... Ce qui me permettait d'imaginer ce qui manquait.
Vers 8-9 ans, j'ai fait la relation entre ce que je connaissais déjà de son œuvre et les Modeste et Pompon (que mon père avait amoureusement découpés dans ses Tintin et reliés en albums étant jeune) ... Et donc, progressivement, j'ai cherché à lire le reste ... André Franquin ne m’a jamais déçu ... Son œuvre est parfois tourmentée ou cauchemardesque mais toujours intéressante ... Et elle donne envie de dessiner !
J'ai eu le plaisir de rencontrer deux fois André Franquin. A l'occasion de la première (j'avais alors un peu moins de 16 ans), après lui avoir montré mes planches et dessins, je lui ai demandé si je pouvais quitter les études et travailler pour un éditeur ... Et le grand homme m'a dit que « oui » ... Quelques mois plus tard, je n'étais plus à l’école et j'étais édité ... C'est son avis qui a été le déclencheur de mes débuts dans le métier.
La deuxième rencontre se passa chez lui des années plus tard. Nous avons eu l’occasion, Thierry Joor et moi-même, de rester presque toute une nuit à discuter avec André Franquin tandis qu’il signait les exemplaires grands formats de La Mauvaise Tête (ouvrage des Editions du Lion pour lequel on m'avait demandé de colorier à l'aide de trames mécaniques la couverture). Outre le fait que la réalisation de ce travail était pour moi un honneur, lié à mon admiration pour l’artiste ainsi qu'à l'attachement affectif pour cet album, il m'avait donné l'opportunité de poser des tonnes de questions à ce maître du métier ce soir là.
Saviez-vous, par exemple, qu'André Franquin vouait une réelle admiration au travail de Franck Godwin (dont le Joe Lumière publié dans Spirou lui avait même donné franchement envie de créer une série de style réaliste durant un temps ... chose qu'il ne fit finalement pas (malheureusement) ?
Les travaux de Bewille et de Ronaldo Searle le passionnaient également (il est amusant de comparer la façon de dessiner les mains des trois artistes ...). Mais, il y aurait tant de choses à raconter ... Quelles heures formidables passées !
Quel(le) est votre album, aventure, gag ou personnage préférée de Franquin et pourquoi ?
La Mauvaise Tête sans aucun doute ... C'est un attachement très profond, mais il est évident que Bravo les Brothers ! est une merveille, et bref, que toute époque est captivante.
Franquin a-t-il influencé quelque part votre style, votre manière de travailler ?
Répondre par l'affirmative peut paraître hyper prétentieux et en plus je n'ai ni son talent ni ses capacités ... Mais, très très souvent, un petit cours de dessin très ancien (paru dans un supplément du journal Spirou) auquel il avait participé (cela doit tenir en 1 page ou 2 maximum, et de petite taille) me revient en mémoire lorsque je m'apprête à dessiner un animal ou un personnage : « Tout commence par une colonne vertébrale souple ! ... Et ensuite construisez le personnage dessus ou autour » ... Ce rappel m'est d'une aide énorme pour ne pas exécuter quelque chose de trop statique. Il me semble que quasiment tout illustrateur qui s'est retrouvé un jour devant le travail de Franquin, ne peut qu'en avoir subit l'influence d'une manière ou d'une autre, autant dans un style réaliste qu'humoristique. Quoiqu'influencé par d'autres lui-même, André Franquin a établi des règles et des codes fondamentaux qui sont presque incontournables (pas besoin de les analyser, il suffit de regarder ses dessins).

Quel est selon vous l'impact de Franquin au monde de BD présent ?
Il reste un pilier. Mais malheureusement, chez certains, qui ne se sont contentés que de copier ses tics et ses codes sans effectuer une analyse de ce dont ils proviennent (une bonne connaissance de l'anatomie, une compréhension de la mécanique des objets animés, une observation constante de tout ce qui l'entourait et bien d’autres aptitudes mises en pratique ...), son style a donné naissance à de curieuses choses ... pas inintéressantes mais qui ne possèdent pas son punch et manquent un peu de finesse ...
Un exemple de l'impact qu'a toujours le travail d'André Franquin parmi d'autres peut être celui ci : j'en ai discuté avec des collègues ... Il nous arrive tous lorsqu'il nous est donné de voir un petit chat jouer, ou un singe faire certaines grimaces ou encore un militaire gradé un peu studieusement bomber le torse, lorsqu'une belle voiture de sport prend un virage en crissant des pneus, que l'on se repose au pied d'un pin parasol dans le sud ... de nous surprendre à nous dire : « On dirait du Franquin ! » ... C'est dire comment il comprenait bien certaines choses ! ...