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Qu'est-ce
qui rend Franquin si extraordinaire ?
André Franquin était un homme qui, malgré
sa célébrité, a toujours su très cordialement
accepter le contact avec ses collègues ainsi qu'avec les
apprentis dessinateurs désireux de le rencontrer. Mais, bien
sûr, c'est surtout sa science du métier, dès
le début de sa carrière, qui était absolument
remarquable.
Influencé par les illustrateurs américains tels Billy
Debeck et les animateurs des personnages de Walt
Disney, il parviendra à en extraire le suc du mouvement
et de la juste (quoique caricaturale) anatomie.
On sent tout au long de son œuvre une envie d'esthétisme
liée à un réel rendu de réalisme (à
toute époque, il travailla d’après nature, soit
des modèles réels, avec Jijé,
ou plus tard en prenant modèle sur des images télévisuelles).
En ajoutant à cela que, quel que soit l’instrument
qu'il utilisa, il sembla pouvoir le dompter et en tirer le maximum
(pinceau, plume, stylomine, etc ...) ! Son trait paraissait toujours
« celui qu'il fallait choisir » selon l'objet à
illustrer.
Si beaucoup de dessinateurs ont été inspirés
et s’inspirent toujours du trait, des trouvailles et de la
technique d'André Franquin, lui, ne s’est jamais caché
de ses propres inspirations. Cela est non seulement sympathique
mais également honnête, et nous devons tous en faire
autant. |
Comment
avez-vous fait connaissance avec Franquin ou ses albums ? Quels
sont votre premiers souvenirs de lui ? Avez-vous eu des contacts
personnels ?
Tout
d'abord, je me rappelle avec délice la lecture (si c'en était
une car à l'époque je ne savais pas encore lire) de
l'album La Mauvaise Tête. Et ce à chaque fois
que je me rendais chez ma grand-mère maternelle. C'était
le seul livre de Franquin qu'elle possédait et il me fascinait
absolument. Je ne comprenais pas tout (comme la séquence
où Spirou est amnésique), mais je trouvais cet album
magnifiquement dessiné et l'histoire à la fois cauchemardesque
et passionnante ... Il sentait également le sud de la France
et les vacances !
Ensuite j'ai dévoré certaines aventures de Spirou
et Fantasio en lisant de vieux recueils Spirou, ce
qui fait que je ne connaissais, bien souvent, ni le début,
ni la fin des histoires ... Ce qui me permettait d'imaginer ce qui
manquait.
Vers 8-9 ans, j'ai fait la relation entre ce que je connaissais
déjà de son œuvre et les Modeste et Pompon
(que mon père avait amoureusement découpés
dans ses Tintin et reliés en albums étant
jeune) ... Et donc, progressivement, j'ai cherché à
lire le reste ... André Franquin ne m’a jamais déçu
... Son œuvre est parfois tourmentée ou cauchemardesque
mais toujours intéressante ... Et elle donne envie de dessiner
!
J'ai eu le plaisir de rencontrer deux fois André Franquin.
A l'occasion de la première (j'avais alors un peu moins de
16 ans), après lui avoir montré mes planches et dessins,
je lui ai demandé si je pouvais quitter les études
et travailler pour un éditeur ... Et le grand homme m'a dit
que « oui » ... Quelques mois plus tard, je n'étais
plus à l’école et j'étais édité
... C'est son avis qui a été le déclencheur
de mes débuts dans le métier.
La deuxième rencontre se passa chez lui des années
plus tard. Nous avons eu l’occasion, Thierry Joor
et moi-même, de rester presque toute une nuit à discuter
avec André Franquin tandis qu’il signait les exemplaires
grands formats de La Mauvaise Tête (ouvrage des Editions
du Lion pour lequel on m'avait demandé de colorier
à l'aide de trames mécaniques la couverture). Outre
le fait que la réalisation de ce travail était pour
moi un honneur, lié à mon admiration pour l’artiste
ainsi qu'à l'attachement affectif pour cet album, il m'avait
donné l'opportunité de poser des tonnes de questions
à ce maître du métier ce soir là.
Saviez-vous, par exemple, qu'André Franquin vouait une réelle
admiration au travail de Franck Godwin (dont le
Joe Lumière publié dans Spirou lui
avait même donné franchement envie de créer
une série de style réaliste durant un temps ... chose
qu'il ne fit finalement pas (malheureusement) ?
Les travaux de Bewille et de Ronaldo Searle
le passionnaient également (il est amusant de comparer
la façon de dessiner les mains des trois artistes ...). Mais,
il y aurait tant de choses à raconter ... Quelles heures
formidables passées ! |
Quel(le)
est votre album, aventure, gag ou personnage préférée
de Franquin et pourquoi ?
La
Mauvaise Tête sans aucun doute ... C'est un attachement
très profond, mais il est évident que Bravo les
Brothers ! est une merveille, et bref, que toute époque
est captivante. |
Franquin
a-t-il influencé quelque part votre style, votre manière
de travailler ?
Répondre
par l'affirmative peut paraître hyper prétentieux et
en plus je n'ai ni son talent ni ses capacités ... Mais,
très très souvent, un petit cours de dessin très
ancien (paru dans un supplément du journal Spirou)
auquel il avait participé (cela doit tenir en 1 page ou 2
maximum, et de petite taille) me revient en mémoire lorsque
je m'apprête à dessiner un animal ou un personnage
: « Tout commence par une colonne vertébrale souple
! ... Et ensuite construisez le personnage dessus ou autour »
... Ce rappel m'est d'une aide énorme pour ne pas exécuter
quelque chose de trop statique. Il me semble que quasiment tout
illustrateur qui s'est retrouvé un jour devant le travail
de Franquin, ne peut qu'en avoir subit l'influence d'une manière
ou d'une autre, autant dans un style réaliste qu'humoristique.
Quoiqu'influencé par d'autres lui-même, André
Franquin a établi des règles et des codes fondamentaux
qui sont presque incontournables (pas besoin de les analyser, il
suffit de regarder ses dessins). |
Quel
est selon vous l'impact de Franquin au monde de BD présent
?
Il reste un pilier. Mais malheureusement, chez certains,
qui ne se sont contentés que de copier ses tics et ses
codes sans effectuer une analyse de ce dont ils proviennent (une
bonne connaissance de l'anatomie, une compréhension de
la mécanique des objets animés, une observation
constante de tout ce qui l'entourait et bien d’autres aptitudes
mises en pratique ...), son style a donné naissance à
de curieuses choses ... pas inintéressantes mais qui ne
possèdent pas son punch et manquent un peu de finesse ...
Un exemple de l'impact qu'a toujours le travail d'André
Franquin parmi d'autres peut être celui ci : j'en ai discuté
avec des collègues ... Il nous arrive tous lorsqu'il nous
est donné de voir un petit chat jouer, ou un singe faire
certaines grimaces ou encore un militaire gradé un peu
studieusement bomber le torse, lorsqu'une belle voiture de sport
prend un virage en crissant des pneus, que l'on se repose au pied
d'un pin parasol dans le sud ... de nous surprendre à nous
dire : « On dirait du Franquin ! » ... C'est dire
comment il comprenait bien certaines choses ! ... |
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